Lettre de Freud à Fliess




Vienne, 17-12-96

     TRÈS CHER WILHELM,


[...]
     Maintenant passons, sans transition, à des sujets psycho-névrotiques. Je suis enchanté de te voir considérer l'explication de l'angoisse comme un « Sésame ». Peut-être ne t'ai-je pas encore parlé de l'analyse de quelques phobies. « La peur de se jeter par la fenêtre » est une erreur du conscient et respectivement du préconscient et se rattache à un contenu inconscient où la fenêtre joue son rôle. En voici l'analyse :
     Angoisse + ... fenêtre... ; s'explique ainsi :
     Idée inconsciente : aller à la fenêtre pour faire signe à un homme de monter, comme le ferait une prostituée : déclenchement de sexualité par suite de cette idée.
     Préconscience : rejet et angoisse à cause de ce déclenchement.
     Dans tout ce contenu, le seul élément conscient est la fenêtre. Seul, en effet, cet élément peut être utilisé comme un compromis et cela grâce à « la peur de tomber par la fenêtre », peur compatible avec l'angoisse. Ce dont les malades se rendent compte, c'est de la peur des fenêtres, qu'elles interprètent comme une peur de « tomber par la fenêtre... », cette dernière idée elle-même n'étant pas toujours forcément consciente. Leur comportement d'ailleurs reste le même : elles évitent d'approcher des fenêtres. Pense au faire de la fenêtre1 de Guy de Maupassant...
     J'ai, en même temps, découvert toutes sortes de jolies choses de mon ressort. C'est ainsi que s'est vu confirmer un soupçon que je nourrissais depuis lontemps, un soupçon relatif au mécanisme de l'agoraphobie chez la femme. Tu le devineras très bien en pensant aux prostituées. C'est le refoulement de la compulsion à aller chercher dans la rue le premier venu, un sentiment de jalousie à l'égard des prostituées et une identification à elles. Même à d'autres points de vue encore, je pourrais me sentir satisfait, mais aucun traitement n'est déjà terminé ; je sens qu'il me manque encore un élément essentiel. Je ne me sentirai heureux que lorsque j'aurai réussi à pénétrer jusqu'au tréfonds d'un de mes cas. Ceci fait, je me trouverai en état de m'accorder une bonne journée entre deux nuits de voyage.
     [...]
     Je t'envoie ainsi qu'à ta femme et à ton fils mes très affectueuses pensées,

ton            

Sigm.


Sigmund Freud, La Naissance de la psychanalyse. Lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans (1887-1902), publiés par Marie Bonaparte, trad. de l'allemand par Anne Berman, Paris, PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 1969, p.160-161.




1 Sic. En français dans le texte. Freud fait référence au conte de Maupassant « Le Signe » (1884).



Retour vers Réception